Le règne malheureux des enfants-rois
Écouter un enfant est une chose ; le laisser décider seul de tout ce qui est « bon » pour lui en est une autre ! Loin de faire son bonheur, le pouvoir de l’enfant-roi peut, au contraire, lui faire le plus grand tort…
Article paru dans la revue "Ciné-Télé-Revue", par Candice Leblanc
19h30. À table, Bastien, 8 ans, n’est pas content : il n’a pas envie de manger des lasagnes ! Face à ses protestations, ses parents cèdent, rallument le four et sortent une pizza du congélateur… 20h20 : à peine a-t-il fini de manger que Bastien se précipite dans le salon. Tant pis si Pierre, son papa, voulait regarder le foot : ce soir, un film d’animation passe à la télé. Sa mère lui fait timidement remarquer qu’il a école demain et qu’il devrait « peut-être » aller au lit. Bastien fait la sourde oreille. Il est passé 22h30 lorsqu’il daignera aller se coucher…
Qu’est-ce qu’un enfant-roi ?
Bastien est ce qu’on appelle un enfant-roi : c’est lui qui décide. Presque rien ne lui est refusé ou imposé. « L’enfant-roi ou enfant-tyran sait ou, du moins, croit savoir ce qui est bon pour lui », explique Diane Drory, psychologue spécialisée de l’enfance. « Ses désirs priment sur ceux de l’adulte qui s’y soumet, de peur de le blesser ou de le mettre en colère. »
Or, un enfant sans limites, incapable de gérer la frustration, est comme un arbre sans racines : au premier coup de vent, il s’effondre ! « Grandir avec l’idée que la réalité se conformera toujours à vos désirs est dangereux, car la vie n’est pas comme ça ! »
Des adultes plus fragiles
Que se passe-t-il le jour où l’enfant-roi tombe amoureux de quelqu’un qui ne l’aime pas, ne décroche pas le job qu’il convoitait ou est exclu du groupe auquel il souhaitait appartenir ? « C’est simple : il tombe des nues ! » explique la psychologue. « “Comment ?! Les choses ne se passent pas toujours comme je veux ? Mais c’est terrible !!” Toute sa représentation du monde en est bouleversée… et ça peut le briser. Ce n’est pas un hasard s’il y a de plus en plus de dépressions, de phénomènes anxieux (la phobie scolaire, par exemple) et de suicides chez les jeunes. Les enfants-rois sont désemparés face aux difficultés de l’existence, car ils ne sont pas (bien) armés pour les affronter. »
Des parents qui ont peur
Les parents qui abandonnent tout ou partie de l’autorité à leur enfant ne pensent pas à mal. Au contraire, ils ne veulent rien d’autre que son bonheur. Cependant, cette bonne intention est motivée par deux grandes craintes : celle de ne pas être reconnu comme un « bon » parent par les autres et la peur de ne pas être aimé de son enfant. « C’est infondé ! », rassure Diane Drory. « L’amour filial est presque toujours inconditionnel (1). Et l’enfant auquel on pose des limites n’en aime que davantage son parent, car celles-ci le rassurent. Régenter un adulte, voire toute une famille est une responsabilité bien trop écrasante pour lui ! Mieux vaut lui permettre de vivre son enfance tranquillement, là où chacun est à sa place. »
Les limites non négociables
Selon Diane Drory, l’une des principales limites à inculquer à un enfant dès le plus jeune âge est l’interdiction de la violence physique. « On peut être en colère et l’exprimer, mais en aucun cas on n’agresse le corps de l’autre ! Quant à la violence verbale, chaque parent a son seuil de tolérance, mais permettre les insultes n’est guère souhaitable… La politesse fait partie des codes sociaux qui aident à s’intégrer dans la société. »
Quelques contre-exemples
- Ne pas répéter les règles de la politesse (dire « bonjour », « au revoir », « merci », etc.) à un enfant en espérant qu’il les apprendra de lui-même.
- Préparer trois menus différents pour un même repas pour satisfaire chacun de ses trois enfants…
- Laisser l’enfant prendre des décisions qui concernent toute la famille, comme le choix du lieu de vacances.
- Acheter tout ce qu’un enfant veut dans un magasin, de peur qu’il ne fasse une crise.
- Ne pas laisser un enfant s’habiller seul au-delà de 4 ans… alors qu’il en est tout à fait capable !
Notes :
(1) Même les enfants victimes de violences continuent souvent à aimer le parent abuseur.
À lire
« Au secours ! Je manque de manque ! » de Diane Drory, éd. De Boeck, coll. « Parentalités ».