L’aîné ? Un dauphin ? Un cobaye ? Un pélican ?
Dès sa conception la présence d’un enfant porte une signification pour les adultes qui l’accueillent. Ce qu’il représente suscite des sentiments dont les émotions s’expriment par des comportements conscients et inconscients, par les paroles qui lui sont adressées.
Ces attitudes composent l’alentour sensoriel qui tutorise le développement de l’enfant et met en place son narcissisme primaire. C’est cela « mettre au monde » un enfant ! Chaque foyer met en scène son propre scénario où les représentations de chacun s’associent et jouent ensemble, comme au théâtre, une pièce familiale dans laquelle chacun occupe la place du rôle qu’il joue.. Qu’en serait-il de la place de l’aîné ?
Anatole le dauphin
Il est né le divin rejeton ! Cet aîné comblant le désir d’enfant d’un couple. Et Dieu sait si ce désir est brûlant à notre époque ! Ce nouveau centre de l’univers, huitième merveille du monde, point de jonction de tant d’attentes, élu de cœur des parents, grands parents et associés, quel avenir l’attend ? Celui dont le bonheur admiratif de l’entourage scande à chaque étape de son évolution des « Comme tu es grand ! Avez-vous vu ce qu’il sait déjà faire ? On est fier de notre grand. Que ferions nous sans lui ?» Etc.
Que de regards sur lui, que de paroles à son sujet, que d’attentes raisonnables et démesurées à son égard, que d’idéalisation. Une véritable écurie d’Augias l’attend : répondre et combler tous ces rêves d’adultes. Et malgré tous les efforts qu’il fera pour répondre à cette lourde tâche, il y aura souvent un peu de déception dans l’air. Car l’enfant du rêve n’est jamais l’enfant de la réalité... Les parents d’Anatole avait rêvé de voir leur aîné devenir un champion de tennis. Hélas, dès les premiers cours, le prof leur annonça qu’il n’avait aucune qualité en la matière… On rangea raquette, chaussures et belle tenue au placard. Chacun ayant un deuil à faire, les parents de leur champion, l’enfant de ne pas être celui qui comble le rêve parental. Ainsi va la vie.
De cette place de prince, l’aîné est aussi doté d’un pouvoir certain : initier les parents à toutes les « premières » d’un enfant. L’aîné, au fil des ans, restera un point de mire incontournable, lorsqu’il entre à l’école ou à l’université, c’est un événement familial. Pour les suivants on fait déjà moins de cas ! Focalisant une bonne dose d’attention il sait faire plier l’entourage à ses demandes. Ainsi, à peine âgé de deux ans, Anatole obtenait de sa mère le droit de mettre la carte de banque dans sa poche et de la tendre à la caissière.
De la place unique qu’il occupe, il ne lui est guère difficile de manipuler l’entourage au gré de ses petits caprices. Ne dit-on pas souvent de l’aîné « Il a l’art de se faire servir »…
Anatole le cobaye
Mais tout n’est pas toujours si rose et si facile pour l’aîné ! Dans ces yeux braqués sur lui, se lit aussi le rêve parental et sa série de mesures éducatives idéales. Il devra être l’enfant gentil, poli, qui plaît à tout le monde car il dit bonjour sans sourciller. Il videra son assiette et sera propre tôt pour faire l’admiration de tous, pour prouver au monde comme il a de bons parents. A moins qu’il ne soit ce petit auquel on ne refusera rien, qui recevra avant de demander, qui devra parce que combler de toutes parts, dorloter et protéger de tout, prouver comme il a de la chance d’avoir des parents idéaux.
C’est sur l’aîné que les parents font leurs premières armes d’éducateurs. Il est le cobaye sur lequel leur rêve de « parent idéal-enfant idéal » en prend pour son grade ! Un enfant n’est pas aussi malléable qu’on se l’imagine et selon son tempérament, il résistera tant bien que mal au moule prépensé. A l’aîné donc d’amener les parents à adapter leurs visions éducatives aux évènements quotidiens, au caractère de l’enfant, au contexte social.
Anatole le pélican
Personne n’aime les conflits. On les craint de plus en plus car ils obligent de prendre position. Aussi que de fois n’entend-on pas dire à l’aîné : « Laisse passer –– Tu es le plus grand, tu dois être raisonnable, prête ton jouet à ton petit frère – fais semblant de rien – Je t’interdis de taper, il est plus petit que toi !-etc. » On lui demande, tel un père pélican, de se sacrifier pour le bien des plus jeunes… Or, c’est bien connu, les seconds sont souvent hardis et mordants. Un objectif les taraude, dépasser l’aîné, faire aussi bien si pas mieux que lui. Cela les stimule à être souvent plus autonomes, plus combatifs et vindicatifs vis à vis de l’entourage. Et d’un second les parents acceptent plus facilement ce comportement …
De l’aîné il est donc souvent attendu qu’il soit « un grand » donc « raisonnable ». Gérer par sa raison et non par ses émotions. S’il ose se défendre contre l’envahisseur plus jeune, il se voit vite mis en place de bourreau dont le cadet serait la victime ! D’où le danger de se mêler des disputes. Ne stigmatisons pas les enfants dans des rôles aussi il y a intérêt, en cas de trop grands conflits, de punir chacun des partis de façon identique.
Etre le premier né d’une famille, pour l’aîné cette place est inscrite à tout jamais. Etre celui sur qui les parents concrétisent leur idéal éducatif, c’est incontournable. Mais être celui qui doit abdiquer à son désir pour éviter que le plus jeune « fasse sa crise »… ce n’est pas nécessaire. Pour cela il est encore trop petit !
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