L'an 2000 un espoir de naissance
Venir au monde
Une fois conçu, le fœtus mène à bien son désir de vie en naissant à la vie terrestre dans la matérialité de son corps physique, à nul autre pareil. Il vient au monde, s’extirpant de la gangue maternelle.
Heidegger parle de la naissance comme le fait « d’être jeté au monde ». Un long cheminement commence. L’enfant doit naître à la vie familiale pour ensuite s’introduire à la vie sociale en s’adaptant à la spécificité de la culture qui l’accueille. Pour ce faire, il devra, entre autres, naître à ses capacités mentales dont un des premiers pas sera d’apprendre à parler, à mettre des mots sur les choses.
Il ne faut pas perdre de vue que l’existence terrestre implique aussi une naissance à une vie intérieure, celle dont parlent, entre autres, les contes de fées et les textes sacrés. En effet, notre corps matériel est habité de pulsions se manifestant sous forme de douceur et de violence, d’orgueil et d’humilité, d’amour et de haine, etc...émotions qu’il faut apprendre à concilier, à dominer ou à développer.
Le mythe de l’an 2000. Pour rêver d’une vie nouvelle ?
Naître à un état c’est mourir à un autre
Il se pourrait que l’engouement pour cette marque dans le temps, cette date fatidique ou libératrice symbolise le désir inconscient de mourir à une vie de stress, de chaos ou de vide et un espoir de renaître à un monde plus serein. Le Je intérieur de bon nombre d’entre nous n’est-il pas irrité d’évoluer dans un univers où tout devient valeur économique, où tout se monnaye, où tout le pouvoir est entre les mains de financiers ? Même la vie humaine se traduit en termes d’argent, ne parle-t-on pas de « ressources humaines » ? L’esclavage est loin d’être aboli, il a simplement pris des formes plus subtiles… Mais est-ce vraiment l’argent qui va compenser le malaise des individus dans notre société actuelle ?
Le sens de la vie ne serait-il pas la Vie elle-même ? La Vie est une valeur en soi, intrinsèque et groupant à la fois, pour chacun d’entre nous, des valeurs théoriques comme celles de la connaissance, des valeurs éthiques, des valeurs esthétiques et des valeurs spirituelles. Ce basculement d’un millénaire à l’autre n’évoque-t-il pas cet espoir d’une possible ouverture à une parole qui permet de se fonder sur : « Qu’est ce que JE fais de MA vie » ?
Chaque jour est une naissance à un nouveau temps
La notion de temps est une invention de l’homme pour l’aider à se repérer dans les évènements qui traversent son existence et celle de l’humanité. Qu’elle coule comme un torrent ou comme un fleuve tranquille, la vie ne s’arrête pas, elle est une suite discontinue d’expériences qui conditionnent l’avenir et remodèlent le passé. Mourir à un état pour renaître à un autre peut donc être un fait de chaque instant. Naître à un nouveau temps c’est cueillir une nouvelle opportunité d’évoluer, d’agripper une nouvelle chance.
Ainsi nous renaissons à longueur de journée, à chaque fois que la vie nous présente une nouvelle chance de nous positionner. L’an 2000 est-il une nouvelle chance ? Oui et non. Non si on en fait rien. Oui si on prend l’an au bond et que l’on décide qu’hier ne sera pas aujourd’hui !
Il n’est cependant pas toujours facile de saisir les chances car, si nos espoirs d’un monde meilleur nous poussent en avant, hélas notre histoire, nos habitudes personnelles, notre résistance au changement nous tirent en arrière cherchant à favoriser la répétition plutôt que de se lancer dans le renouveau… Aussi, si chaque jour qui passe donne un espoir d’une renaissance par rapport au passé, il y a un effort à fournir pour faire de cet espoir une réalité !
Il se pourrait que la fascination pour l’an 2000 soit sous-tendue par l’ illusion que peut-être « le temps » instaurerait le renouveau à notre place ? Gare à la chimère utopique d’un an 2000 qui ferait bouger les choses sans que nous ayons à réfléchir, à penser ce changement ! Mirage d’un millénaire qui donnerait un sens à notre vie sans que nous ayons à faire l’effort de le chercher…
L’an 2000 espoir d’une nouvelle ère ?
Le fondement de toutes les naissances qui jalonnent notre existence ne serait-il pas faire advenir ce Je mystérieux qui nous habite et qui se laisse découvrir au fil des pérégrinations quotidiennes de notre Moi, ainsi qu’au gré des émotions qui forgent nos valeurs morales et notre éthique de vie ? Le reste, ce monde d’argent et de course à rattraper le temps est un théâtre utile certes mais qui doit donner le premier rôle à une naissance intérieure et non faire de celle-ci un figurant immobile et muet.
Ce bonheur, on essaye de nous le vendre à tous les coins de rue par la fascination de la possession mais n’est-il pas à trouver ailleurs ? Nous pourrions, par exemple, renouer un réel contact avec le monde qui nous entoure en retrouvant notre regard d’enfant qui s’émerveille devant la beauté d’une fleur ! Cette communion avec les trésors « naturels » à portée de notre main permettent d’accéder à une détente corporelle qui procure d’inexprimables moments de légèreté. Plonger dans le regard d’un enfant aux yeux noisette en faisant la file dans un magasin ou encore se laisser fasciner par le vol d’un oiseau, allège du poids de la quête de l’Avoir et permet de s’envoler vers la découverte de la profonde richesse du fait même d’exister, d’Etre. Et pour comble, cela ne coûte rien d’ouvrir nos yeux sur la Vie !
L’an 2000, pour commencer une vie nouvelle !
Ne perdons pas de vue que si cette passion du chiffre 2000 manifeste avant tout un désir de voir les choses changer, il ne s’agit là que d’un symbole ! Les Chinois, les Juifs, les Aborigènes pour ne citer qu’eux, ont d’autres conventions temporelles, pour eux notre an 2000 n’est pas un jour diffèrent des autres. Gare donc au leurre de croire qu’au son du gong de minuit d’un coup de baguette magique la fée Temps va tout changer…et nous éviter de devoir assumer la recherche de notre propre chemin de Vie ! Cet espoir là est le même leurre que celui du suicide. Celui qui se donne la mort marque son refus de la vie telle qu’elle lui est présentée mais marque aussi son refus ou l’insurmontable difficulté qu’il ressent à marquer de sa trace un chemin autre.
Ne serait-il pas sage de faire de ce passage au deuxième millénaire un évènement non pas uniquement économique et festif mais aussi de le voir comme une occasion de gravir l’échelle de la responsabilisation de l’humanité quant au monde que la Vie lui a prêté… ?
A nous donc de l’élaborer, ce nouveau temps de vie auquel nous aspirons et qui se symbolise par LE réveillon des mille ans à venir. Ainsi notre nouveau millénaire ne sera pas le Big Bug de l’humanité !