Daphée, la petite rapporteuse
"Rapporteuse de la maison
Quatre chandelles et six citrons…"
Il est de ces gens dont une grande part d'énergie est consacrée à examiner avec attention ce qui se passe dans l'assiette du voisin… Pour comprendre l'adulte, retournons à l'enfance. Qu'essayent-ils donc de nous signifier, ces enfants que le langage courant qualifie de "rapporteurs" ?
Et fait non négligeable, ces petits ragots sont rapportés par l'enfant à une personne investie socialement d'un certain pouvoir: un parent, la maîtresse, le chef de la bande ou encore un grand de la fratrie.
Daphné
L'autre jour, je rencontrai Daphné. Cette petite fille de 5 ans passe le plus clair de son temps à l'affût d'un faux pas de Marc, son petit frère. Cette attitude a l'art d'exaspérer sa mère! En effet, à la maison, sans arrêt ce sont des "Maman, Marc a renversé mon verre", ou "Maman, Marc n'a pas mis ses pantoufles", etc.…
Mieux que ça, Daphné n'hésite pas de ragoter au sujet de sa mère dès que le mari rentre à la maison! "Tu sais, Maman m'a de nouveau amenée en retard à l'école", ou "Maman n'a pas été à la poste comme tu le lui a demandé ce matin".L'école n'est guère épargnée de ce comportement puisque sans arrêt fusent des: "Mademoiselle, Sophie m'a tapée" "Jacques a jeté un papier dans la cour", etc.…
On a beau, de tous côtés lui dire de se mêler de ses oignons et de s'occuper de ses affaires, rien n'y fait! Comment réagir?
Que révèle ce comportement?
Une constante se vérifie chez l'enfant rapporteur: il manque d'assurance en lui-même et camoufle sa crainte de mal faire en prenant le rôle de gardien (fictif) de l'Ordre et de la Loi! Sans doute est-ce pour fuir la vision imaginée de sa propre inadéquation qu'il se rassure en pointant les erreurs de l'autre? C'est une manière de se dire: "Ouf, je ne suis pas le seul à ne pas "être" tout comme il faut".
Ainsi donc, l'enfant indique dans le chef de l'autre ce qu'il craint que l'on remarque chez lui! Tellement anxieux d'être pris en défaut, il se rassure en relevant les imperfections des autres. Hélas, si cette attitude nourri, dans l'immédiateté du moment, un semblant de réassurance, en rien, malheureusement, elle ne rend le rapporteur plus sûr de lui. Au contraire, toujours axé sur le négatif, ce cercle vicieux ne fait qu'accroître et embellir l'angoisse de déplaire.
Deux points faibles
L'enfant qui rapporte manifeste ainsi deux grandes fragilités. En premier lieu, il n'ose pas parler en son nom propre pour se protéger des agressions du monde extérieur ou pour défendre son territoire, puisqu'il attend de l'adulte de prendre position pour lui. Daphné n'ose pas dire à Marc "Touches pas à mon verre", pas plus qu'elle n'ose regarder droit dans les yeux sa voisine de banc qui la tape, pour la remettre à sa place avec un "Arrête de me taper ou je te retape !"
D'autre part le rapporteur observe et se nourrit, en tant que spectateur, de ce qui se passe là-bas, entre l'adulte averti et l'enfant concerné… Ainsi plutôt que de s'investir dans une relation avec l'autre, qu'elle soit de conflit ou d'amour, le rapporteur reste en position de retrait, d'attente, de hors jeu. Daphné a sûrement des choses personnelles à dire à son père mais ne trouve le biais de lui parler qu'en lui parlant de maman…
Nous en arrivons donc à la constatation que chez l'enfant rapporteur, c'est la bonne marche du processus d'individuation qui serait en cause; il y a un blocage quant à sa faculté de parler en terme de "Je"
Comment aider ces enfants?
Rabrouer purement et simplement avec des "Je n'aime pas les enfants rapporteurs, ils ne m'intéressent pas!" n'aide en rien l'enfant à vaincre de façon constructive son blocage d'autonomisation mais risque au contraire, de fortifier le vécu d'inadéquation que l'enfant a de lui-même.
Aussi lorsque Daphné vient se plaindre à sa maîtresse de Sophie qui a tapé, celle-ci peut l'aider à formuler en terme de "Je", ce que la petite espère entendre dire par l'adulte, à sa place. En rendant à César ce qui appartient à César, l'adulte aidera Daphné à élaborer, prendre en charge et mettre en mots une opinion personnelle.
De même, la maman agacée par les continuels ergotages au sujet des agissements du petit frère, plutôt que de tenir un discours culpabilisant du genre "la jalousie est un vilain défaut et ce n'est pas gentil" gagnera au change dans la relation à sa fille en se positionnant clairement en son nom à elle. "La maman de Marc c'est moi, les pantoufles de Marc c'est mon problème mais peut-être veux-tu me dire que toi, cela t'ennuie de mettre tes pantoufles?"
De même, le père tendra la perche à sa fille pour qu'elle s'ouvre à lui en lui disant, par exemple: " Maman et moi n'avons pas besoin de toi pour nous dire ce que nous avons à nous dire, tout comme toi et moi n'avons pas besoin de maman pour nous parler! Ca m'intéresse que tu te raconte "toi" à moins que tu souhaites que je me raconte "moi"
Espérons qu'alors, chemin faisant, l'enfant rapporteur puisse imaginer, de la part des grands, des regards intéressés et positifs à son égard; découvrant ainsi qu'à son sujet tout relation n'est pas qu'empreinte de doute et de critiques!
Mots clés: Relation Loi Individualisation