Donner du « jeu » au « temps »
Lire, dessiner, musarder dans le jardin sont des activités qui permettent rêveries et réflexions personnelles solitaires ou partagées. Ces moments de détente, laissant l’esprit voguer au gré de ses intuitions, huilent l’engrenage du temps. Ce temps, qui à notre époque, a si souvent des ratés…
L’indispensable temps « intime »
Lorsque l’on naît, l’univers du monde affectif, cognitif, relationnel, culturel qui nous entoure, est à découvrir. Rude programme ! Investiguer tous ces espaces, décoder les signes, trouver le sens voilà que s’offre à l’enfant des possibilités illimitées. Encore faut-il lui accorder du temps pour qu’il sache où sont ses priorités. Pour cela il lui faut du temps, du temps libre permettant à sa pensée d’errer. Il lui faut suffisamment de liberté dans la tête pour s’aventurer sur des chemins non explorés. L’enfant qui manque d’ennui, qui manque de solitude, manque de cet indispensable temps intime. Et pourtant…
Parfois
« Je ne supporte pas quand ma fille tourne en rond et me dit qu’elle s’ennuie. Je me sens coupable de ne pas bien m’en occuper. De lui faire perdre un temps précieux d’enfance pendant lequel elle pourrait apprendre ou expérimenter quelque chose. Alors je m’efforce de lui trouver une activité avec moi ou seule. »
Notre culture d’efficacité, de perfection, de rentabilité a inventé de nouveaux péchés pour culpabiliser l’humain ! S’ennuyer est un passage important, il permet de s’aventurer dans « l’aire de l’informe » qui représente l’aire intermédiaire qui est celle des « vacances » Vacuité que ne supporte pas celui qui fuit la solitude, qui ne sait pas vivre avec lui-même, qui court d’occupation en occupation ou se jette dans l’usage compulsif d’un jeu ou d’une activité.
« L’ennui c’est très formateur. » Ca forme à quoi ? « A laisser libre cours à sa vie intérieure ! »…
Hymne au temps « libre »
L’enfant, tout autant que l’adulte, à besoin de « temps libre » durant lequel il chante, bricole ou rêve. Occupations lui permettant de trouver sa propre cohérence, de mettre en place ses choix de vie, de s’adapter aux difficultés quotidiennes et à la multitude de petits deuils, apprentissages, ratages, passages ou blessures que tout un chacun rencontre sur son chemin.
Temps libre, moment de relâche qui permettent de trouver son propre rythme, de « remettre sa pendule interne à l’heure ». Temps de catharsis qui permet de jouir d’une harmonie intérieure retrouvée, de se remettre en phase, de se réajuster avec son être intérieur.
Tout cela à l’air évident, mais il est parfois bon de se la rappeler. N’a-t-on pas tendance, à l’image de nos vies d’adultes, à sur-occuper les enfants ? Ils n’ont plus une minute à eux tant ils courent d’une activité à une autre… Prennent-ils encore le temps de jouer ? Force est de constater que les enfants s’investissent de moins en moins dans les jeux « libres » ceux qui donnent la liberté de trouver son propre rythme, de construire son harmonie tant psychique que physique. Ils préfèrent s’adonner à des jeux électroniques où l’on se mesure, à des activités qui augmentent les aptitudes motrices, physiques, mentales, tout ce qui va dans le sens de « gagner plus »…
Savoir passer du temps « seul »
Certains parents pensent qu’ils ne peuvent imposer à l’enfant la frustration de s’occuper seul, qu’une compagnie est indispensable pour qu’il se sente accompagné. Ces enfants ont alors tendance à avoir du mal à s’occuper seuls. « C’est épuisant, Oscar n’arrête pas de me solliciter pour faire un jeu ou participer à toutes mes activités. Quand sa grande sœur n’est pas là pour faire quelque chose avec lui, il erre comme une âme en peine jusqu’à ce que quelqu’un se dévoue à partager son temps avec lui ! » Oscar ne sait donc pas jouer paisiblement avec lui-même ! Il ne trouve pas de lui-même une manière de s’approprier sa relation au monde.
S’il se sent « intérieurement » suffisamment bien soutenu, un enfant saura jouer paisiblement, sans la présence d’autrui à ses côtés. Pour cela il doit avoir intériorisé qu’il n’est pas seul au monde, qu’un Autre bienveillant existe. Pour ce faire, il aura eu dés son plus jeune âge, un environnement vigilant mais pas intrusif.
Jouant seul, habité par une présence protectrice intériorisée, l’enfant pourra occuper un espace fictif, une aire de jeu, lieu intermédiaire entre son monde intime et la réalité extérieure. Ces moments durant lesquels l’enfant s’occupe, bricole, chipote, chantonne, se raconte sont des moments bénis permettant de revivre, de retraverser, de s’approprier la réalité de la vie avec ses moments heureux et d’autres plus difficiles. Moments d’active relâche permettant aux capacités cognitives, perceptives et intellectuelles de trouver leur cohérence aux travers du senti, du pensé de l’éprouvé sous toutes ses formes.
N’avons-nous pas tous rencontré de ces enfants sages, bons élèves, bien adaptés aux exigences parentales et scolaires mais incapables de vivre en compagnie d’eux-mêmes ? Un « faux self » camoufle leur fragilité, mais celle-ci cherche à éviter à tout prix le face à face avec soi-même, ce vide qui fait un trou au ventre lorsqu’ils se retrouvent seuls. Car, quoique répondant aux attentes parentales, ils ne se sentent pas très réels. Et si un jour la réalité leur revient trop fort au visage, ils sont déboussolés…. Pas eu le temps « intime » d’apprendre à repérer leur nord.