La drogue
Laissons, aujourd’hui, sur le côté les questions concernant les drogues dures (héroïne, cocaïne, etc). Celles-ci sont l’objet d’adolescents plus âgés qui, par leur usage, manifestent vraisemblablement un malaise existentiel, une difficulté de vivre ou un état dépressif.
De plus en plus tôt
De nos jours, la distribution clandestine, dans les classes de tous jeunes adolescents, « d’herbe » telles que le cannabis ou le hashish, inquiète. Apprendre que son enfant risque de « toucher » à la drogue, ou qu’il n’est plus vierge de cette expérience, provoque une angoisse chez tout parent concerné par la cause éducative.
Néanmoins ne perdons pas de vue que primo, la drogue douce est inoffensive pour la santé et secundo la prise de drogues douces n’entraîne pas automatiquement un passage aux drogues dures. La question sera plutôt : comment éviter, pour le jeune, l’écueil de l’installation d’une dépendance psychique au rituel du joint
Aussi, plutôt que de décrier ou de se lamenter sur ce phénomène de société, réfléchissons ensemble sur quelques pistes, qui sans dramatiser, aiderait les jeunes à ne pas succomber à une dépendance dont ils ne seraient plus maîtres.
Le jeune adolescent se découvre et se cherche
Le temps de l’adolescence permet de partir à la conquête de la Vie, de l’Amour et de braver des dangers, tester des limites, acquérir de la maîtrise ; à chaque âge donc, ses découvertes, à chaque âge ses questions ; aussi est-il important d’essayer de comprendre les diverses motivations poussant à la l’expérience, la consommation ou à l’abus de drogue.
Les transformations physiques de la puberté subies par tout jeune adolescent l’oblige à faire face aux bouleversements qu’elle entraîne ! Afin de se réapproprier lui-même, il revendique l’intimité de sa chambre, il prend ses distances vis à vis de ceux dont il a été jusqu’à ce jour dépendant, il cherche à intégrer les nouvelles formes de son corps et à en éprouver ses effets de contenance.
Vers 11-12 ans, tout jeune adolescent en bonne santé mentale cherchera donc par mille façons à se différentier, à se distancier du milieu familial, à prendre une certaine indépendance. Le jeune deviendra beaucoup plus dépendant de son groupe d’âge, souhaitant faire « comme les autres » et justement plus « comme à la maison ».
« J’ai commencé à fumer parce que je suis petite de taille. Je voulais me grandir. Le fait de fumer me donnait l’air d’être grande » nous dit Marion.
A cet âge, la drogue devient un sujet de conversation, l’idée de « fumer un joint » tout comme d’ailleurs fumer une cigarette ou vider une canette de bière, permet de fantasmer une façon nette de se démarquer des valeurs familiales et sociales qui ont forgé son identité de base.
La puberté et les changements qu’elle entraîne, donne l’occasion, même si le sujet à déjà été abordé en famille, de remettre le thème de la drogue sur le tapis. D’expliciter clairement à l’enfant en mutation, la différence entre drogue douce et dure et, la drogue douce étant souvent liée au fait de fumer des cigarettes, les dangers de la cigarette sont aussi à expliciter. Si parler en famille de la drogue est une excellente prévention, encore faut-il savoir de quoi on parle ! Si solennellement vous lui parler « des grands dangers du hash », votre enfant vous rira au nez car il sait bien qu’un joint est moins dangereux et moins nocif que le verre de whisky que vous ingurgitez, chaque soir, au retour du bureau ou que le paquet de cigarette qui chaque jour part en fumée !
La drogue renvoie aussi à toutes les questions clés liées au corps, celles-ci doivent être exclues de tout tabou afin d’aider l’enfant à comprendre, aimer et prendre soin de ce corps en mutation, de considérer celui-ci comme son allié le plus précieux pour ses projets futurs.
Conflits et opposition ne doivent pas être fuis comme la peste, l’affrontement, au contraire, matérialise les limites spatiales et temporelles des protagonistes et évitent le flou angoissant… Sans cadre sécurisant, les jeunes utilisent, entre autres, la drogue comme ersatz de personnalisation.
L’adolescent dans la force de son adolescence doit se construire !
Acquérir une place, un rôle dans un groupe n’est qu’un début. Vient l’âge où prendre des risques devient intéressant. « J’aime bien les expériences » nous dit Isaline. Afin de ressentir le fameux « kick », il faut jouer avec le feu afin de se sentir invulnérable, capable de résister à tout. La drogue n’est-elle pas alors un terrain idéal d’expérimentation de sa toute puissance et du désir de devenir « maître de sa vie » ? Que de parents ont entendu cette phrase : « Laissez moi tranquille, je suis assez grand, je veux gérer ma vie !».
Etre maître de sa vie c’est avant tout se sentir maître de son corps et il va sans dire que de plus en plus nombreux sont les jeunes qui fument leur premier joint vers 14, 15 ans. Logique, tout le monde en parle, donc comme pour le sexe, chaque jeune a envie « de voir ce que cela fait », de traverser cette expérience.
De plus, le plaisir de l’interdit, quant à lui, reste vivace chez l’adolescent. L’interdit parental l’intéressant d’ailleurs plus que l’interdit social ; en effet, toute expérience qui lui donne le sentiment d’être sujet de son désir et non plus objet du désir de l’autre est bonne à prendre à cet âge !
D’ailleurs, pour un jeune, fumer un joint ne porte plus guère à conséquence que tirer sur une cigarette ou boire une canette de bière. « Tout le monde le fait ».
Réagir de façon autoritaire et violemment négative risque , par sentiment de révolte et d’incompréhension, de pousser le jeune à reproduire l’expérience, ne fut-ce que par défi et sentiment de rejet. Banaliser, voire fumer un joint avec son enfant pour essayer de dissuader tout sentiment de différentiation par ce biais, n’est guère plus utile. En effet, un jeune voyant son parent enfreindre les limites, jouer lui-même à l’adolescent, se sent comme rattrapé par un parent qui ne sait pas le lâcher alors que lui justement a besoin de distance. L’horreur quoi ! De quoi avoir envie de filer de l’autre côté de la terre, loin de ce melimelo de générations !
Aussi, même si vous êtes un adepte de la dépénalisation du cannabis, un fait est incontournable : aujourd’hui c’est interdit par la loi. Il appartient donc de dire la loi à votre enfant, de vous sentir, vous aussi assujetti à cette loi, et donc de ne pas passer sous silence le fait de trouver un joint dans le cendrier !
C’est en abordant la question avec fermeté mais ouverture d’esprit que l’on permet au jeune de faire la différence entre fumer occasionnellement un joint entre copains ou se mettre le vague à l’âme chaque soir dans le secret de sa chambre…
Le grand adolescent à besoin de s’instruire mais pas qu’à l’école…
Tout va si vite à notre époque, les parents ont quelque fois du mal à suivre l’évolution de l’informatique, du net, de la techno, etc. Les jeunes nous font ressentir qu’ils sont plus intelligents que nous car ils sont plus vifs d’esprit, plus créatifs, s’adaptent plus facilement au chaos du monde actuel. Tout cela ne les empêche pas de douter, d’avoir peur de devenir adulte, de ne plus trouver aisément de sens à leur vie. Il y a les échecs amoureux, les coups de blues. « J’ai augmenté ma consommation de shit depuis que mes parents ont décidé de se séparer » dira Arnaud tandis que pour Loïc : « Depuis que ma petite amie m’a quitté, le joint est le seul truc qui m’aide à m’en sortir tout seul ».
S’il ne faut pas dramatiser outre mesure la consommation à titre d’essai qui manifeste un usage ponctuel de « joints », il n’empêche qu’il faut être attentif à ce que le jeune ne se retrouve pas la proie d’une dépendance.
La communication avec le milieu familial, même si elle est parfois difficile, reste un atout majeur pour le développement de la vie personnelle d’un jeune. Elle est le contrepoison de la fugue ou de la fuite dans le floue de la fumée…
Adopter une attitude qui trop facilement dénote « ce n’est pas grave car ta santé n’en pâtit pas » risque de nous faire passer à côté d’un adolescent qui en appelle à quelque chose du côté de ses parents.
Le constat que le jeune a touché à la drogue, donne l’occasion de parler d’une série de choses, parfois difficiles, parfois ayant trait à des moments moins glorieux de l’histoire familiale. L’adolescent n’est pas un mutant, il a besoin de savoir de qui il est issu, besoin d’entendre , qu’avant lui, ses parents ont été traversés par les mêmes questions, les mêmes hésitations, les mêmes conflits, les mêmes quêtes même si le contexte sociétal était différent.
C’est en tout cas le moment de rappeler que les parents sont là pour accueillir, entendre, raconter, expliquer, et protéger en mettant des limites… à l’adulte de s’accepter dans ce rôle !
Le mot de la fin
Ni banaliser, ni dramatiser revient à dire qu’il faut prendre la question de la drogue comme une chose sérieuse que le jeune devra apprendre à gérer de façon autonome. C’est donc un thème dont il faut savoir parler avec nos enfants, non pas en leur imposant d’emblée nos angoisses et nos récriminations mais en les aidant à se forger une idée propre, une position. En les aidant à penser, ceci afin de renforcer des images élaborées, diversifiées et personnelles. Alors au lieu de se raccrocher à la drogue, objet extérieur devenu mythique pour mille raisons, ils pourront s’appuyer sur un objet interne, à savoir une certitude profonde et stable, d’exister aux yeux des autres, parents et copains, comme une personne à part entière.
Goûter au joint, faire comme les autres, tenter l’expérience, n’est en aucun cas synonyme « d’aller mal » ! Par contre, il est utile de démontrer au jeune que la dépendance à la drogue est encore plus infantile que de dépendre de papa-maman !
Quand un adolescent va mal, au point de se réfugier dans une prise excessive de drogue, le seul lien qui lui reste est celui de sa famille. Rompre ce lien c’est le condamner à la détresse et à la solitude.
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