Le loisir, un temps de jachère
Stimuler l’enfant dès sa plus tendre enfance à un environnement riche sensoriellement, culturellement et affectivement, voilà notions bien acquises pour nombre de parents. De là l’idée que, pour l’enfant, construire son avenir c’est qui dépend de sa capacité à se soumettre à des apprentissages ou à des temps de « productions rentables».
Une tâche parentale serait d’être sans cesse à l’affût de tout ce qui pourrait stimuler l’intelligence du cher petit. Comme si les enfants ne pouvaient surtout plus s’ennuyer ; comme si être de bons parents c’était veiller à ce que l’enfant ait sans cesse l’esprit ou le corps occupé. Et si le trop plein de stimulations limitait la créativité recherchée ? Il se pourrait que l’ardeur de certains parents n’aille à l’encontre de l’effet désiré…
Peur du vide.
Le vide est associé au manque dans l’esprit de beaucoup. Or le vide c’est la vacuité, un espace creux, un temps de jachère dans lequel va pouvoir se semer ce quelque chose né de l’imaginaire. Temps pendant lequel va pouvoir jaillir ce qui ne peut s’éclore pendant les temps d’apprentissages ou les temps de production. Ne serait-ce pas la raison principale de ces deux mois de vacances scolaire?
Ce temps creux, les adultes ont de plus en plus de mal à l’accorder à l’enfant. Tant ils sont préoccupés de son avenir. Souhaitant pour lui le meilleur des mondes, ils focalisent sur tout ce qui favorise l’apprentissage et la réussite (scolaire pendant dix mois de l’année…), comme si celle-ci était la seule garantie de réussite sociale et personnelle.
Mais rien ne prouve que la précocité intellectuelle garantira des succès scolaires jusqu’en fin d’université… Tandis qu’il est bien démontré que l’imaginaire est un outil essentiel car il permet à tout un chacun de trouver sa place unique et ses solutions personnelles aux évènements de la vie.
L’indispensable temps de jachère
Masud Kahn parle avec poésie de cet entre deux spatio-temporel, ce temps flottant. Moment de vie « libre et animé », « éveillé et alerte, souvent silencieux », où l’on n'a rien à faire dans l’urgence, dans l’immédiat. Un temps « transitif, transitoire » pour se retrouver soi-même, préparer le faire et le rendre possible. Un temps qui peut être une occupation paisible comme lorsque la petite Natacha joue avec ses petits personnages et sa maison de poupée. Ou encore un temps de rêve et d’oisiveté comme ces ados qui glandent couchés à même le sol et exaspèrent leurs parents parce qu’ils ne « font rien »…
Temps de jachère, temps protégé durant lequel l’enfant peut jouer à être seul. Temps de vacances…
Seul responsable de son temps libre
Permettre à l’enfant d’avoir du temps libre, tu temps dont il dispose à sa guise c’est lui faire confiance et se faire confiance. Trop souvent, les parents d’aujourd’hui s’accordent peu de temps de jachère et angoissent à l’idée de voir leur enfant en avoir. Notre culture favorise le « bougisme », il faut sans cesse bouger, se déplacer, faire des choses. Dans cette spirale de sur occupations, ils entraînent leurs enfants tant ils sont angoissés. Il n’y a qu’à voir l’emploi du temps surchargé de l’enfant qui est non seulement élève à l’école mais aussi à la musique, à la danse, au foot. Et pendant l’été , un camp s’enchaîne à un stage suivit d’une nouvelle activité, etc. Le temps est découpé de façon draconienne. Toujours un but précis à atteindre, un certain niveau de performance à atteindre pour répondre à l’idéal de l’humain heureux…
Aucun vide, pas de temps à perdre … Mais cela signifie : pas une minute à soi. Comme le dit Claude Sarraulte, « L’éveil, ça les gave ! »…
Lâcher le contrôle
Accorder du temps de jachère c’est lâcher prise car ici, l’adulte n’a pas le contrôle. Il prend le risque que l’enfant ne fasse pas ce que l’adulte rêve qu’il fasse pendant ce temps… Impossible de faire de ce temps de jachère un outil préventif, pédagogique ou didactique ! Eh oui! Laisser à l’enfant son temps d’enfance n’est pas une « garantie de réussite » pour l’avenir. Dans ce temps il forgera sa culture personnelle, il construira son univers selon les idées de son imaginaire.
Pour le parent, accepter d’accorder un vrai « temps de vacance » c’est accepter d’être surpris, qui sait déçu. C’est ouvrir les bras et laisser partir. Laisser devenir.
Et si la suroccupation à laquelle sont soumis les enfants aujourd’hui n’était autre qu’un moyen détourné pour garder l’enfant emprisonné et bâillonné dans nos idéaux ? Nos ardeurs pédagogiques contiennent sans doute plus d’une contradiction…