Les enfants sont-ils devenus des personnes déplacées
« Où habites-tu ? », demande une dame à un enfant rencontré chez une amie. Et l’enfant de répondre « Ma Maman habite à Lasne et mon Papa à Etterbeek ». Est-ce une réponse à la question ? Non ! Mais comment y répondre puisqu’il est difficile pour un seul corps d’habiter deux espaces en même temps ! Il n’y a sans doute pas d’autres réponses possibles pour les enfants qui nomadisent d’un parent à un autre.
L’époque où l’on naissait et mourrait dans la même maison, donc dans le même environnement social, le sentiment d’appartenance germait facilement en soi. Cette continuation n’est plus de mise dans le contexte actuel. Face à un déplacement physique de plus en plus caractéristique du monde des adultes, le lieu d’habitation ne joue plus un rôle important dans la construction de l’identité et du sentiment d’appartenance d’un enfant. Ainsi, pour de nombreux enfants, le temps du sédentarisme où l’enfance se déroulait dans un lieu immuable appelé plus tard « La maison où j’ai grandi » est révolu.
Les voilà devenus orphelins de maison d’enfance !
Le monde est en mouvance
Dans notre contexte culturel, tout bouge de plus en plus vite. Les frontières sont dissolues, la vie professionnelle des adultes s’internationalise. Le monde n’est plus qu’un grand village dans lequel on se déplace facilement grâce au développement des moyens de transport et de communication.
Dans la foulée, les couples se font et se défont au gré des amours. Les enfants sans domicile fixe, (si ce n’est légalement !), les valises à la main, vont de l’un à l’autre ; reçoivent des « frères et sœurs » venus d’ailleurs ; se voient adoptés par des nouveaux grands-parents. Hélas, parfois ils les perdent, pour toujours, sans avertissement, se voyant alors soudain amputés d’un réseau de liens affectifs…ce qui les laisse bien moins indifférents que l’on ne pourrait le penser.
Force est de constater que les fréquents changements d’adresse, d’école, d’environnement social fragilise l’enracinement psychique d’un individu car il se retrouve, sans cesse, obligé de rompre des liens et d’en renouer ailleurs
Comment alors, dans le monde d’aujourd’hui, pouvons-nous assurer à l’enfant une permanence et une stabilité de sa place ?
Comment aider les enfants à ne pas se sentir des « personnes déplacées » au gré des individualisme des adultes ?
Une « personne déplacée » ne se sent nulle part chez elle. Elle vit dans l’amertume d’avoir été déraciné de son premier lieu d’ancrage et ressent l’impossibilité de s’enraciner ailleurs. C’est le cas, par exemple, pour de nombreux individus qui ont du fuir leur pays pour des raisons de sécurité et qui ne s’intègrent pas dans le tissu social qui les environne.
Puisque les enfants bénéficient de moins en moins d’un ancrage géographique stable, c’est sur l’ancrage psychique qu’il faudra orienter les efforts de notre civilisation actuelle. En permettant à l’enfant d’élaborer des liens affectifs solides « quoiqu’il arrive » et « où qu’ils soient » ! Ce n’est pas ce que vivent les enfants pris en otages dans des séparations parentales chargées de haine mutuelle et de désir de destruction de l’autre parent…
Par contre ce qui favorise le sentiment d’avoir une place aux yeux de l’autre sera l’imprégnation de la transmission. Transmettre, c’est : « Nous prenons du temps pour évoquer avec les enfants les moments forts de leur histoire et de celle de leurs familles. Ils vivent tous dans des familles recomposées mais cela ne nous empêche pas d’évoquer le temps où ils vivaient avec nos conjoints de l’époque. C’est important qu’ils ressentent une continuité dans la place qu’ils prirent dans nos vies respectives de parents.» La transmission permet au sentiment de filiation de se mettre en place. La filiation, sentiment d’appartenance à une famille, à un groupe, est un des piliers permettant de mettre en place une structure psychique saine et solide. Sans cette filiation, la capacité à prendre sa place est fortement fragilisée et le sujet voué à l’égarement ou à l’errance…
Cultiver la solidarité
« D’ailleurs maintenant qu’ils sont plus grands, ils adorent regarder les photos de leur enfance et de celle de leurs frères et sœurs d’union. » dit Jacques. Puisque les enfants vivent de moins en moins dans des communautés fixes, il est important de développer chez eux les vertus de l’esprit nomade et de ses valeurs clés. La solidarité en est une !
En prenant le temps d’être avec l’enfant à notre place de parent, d’éducateur ou d’adulte nous avons une responsabilité de transmettre ce sens de la solidarité. « Je n’ai pas le temps de parler à mes enfants » se plaignent nombres d’adultes. Mais la vie n’est-elle pas une question de choix ?
Prendre le temps de prodiguer de l’affection, de l’entre aide, de l’information, partager des centres d’intérêts permettent de faire grandir chez un enfant le sentiment d’avoir une place, celle qui lui convient, qui le charge de dignité, qui lui assure d’une fonction sociale. Avoir une place signifie se voir attribuer une portion d’espace, un lieu et d’occuper une position bien définie
Les nomades du futur.
La richesse des enfants qui constitueront les générations suivantes sera d’avoir une beaucoup plus grande « adaptabilité » face aux changements et au nomadisme culturel. Cependant pour que puisse se mettre en place une identité solide, un sentiment d’avoir une place dans la communauté humaine il faudra être attentif à leur donner pendant l’enfance la transmission affective de la filiation. Ancrage qui les stabilise et les enracine au fond d’eux-mêmes. Sinon les bourrasques de notre monde en mouvance risque de les mettre en errance….
De plus en plus, les adultes se plaignent d’enfants qui ne tiennent pas en place, qui sautent d’un fauteuil à l’autre, qui ne peuvent rester à table le temps d’un repas, qui chahutent en classe. Ceux-là se voient rapidement qualifiés « d’hyper kinétiques »… N’est ce pas confondre un enfant qui manque de repères avec un enfant qui souffre réellement d’un trouble neurologique psychomoteur ? Un enfant peut prendre beaucoup de place, trop de place parce qu’il ne sait pas ou est sa place !
La transmission dépend de la manière dont on a raconté à l’enfant son histoire et de la manière dont il a interprété, dans sa plus intime conviction, les faits, gestes et les dires de ses parents.
Avoir une place signifie se voir attribuer une portion d’espace, un lieu ou occuper une position bien définie. Position qu’une personne peut ou doit occuper.
Etre à sa place
L’enfant doit être fait pour la fonction qu’il occupe, il doit pouvoir s’adapter à son milieu, aux circonstances. Il est fait pour grandir sous la protection et la guidance des parents et non pas comme enjeu de leur disputes ou représentant de leur capacité parentale !
Pour cela il faut aider l’enfant à rester à sa place, à se conduire comme l’exige sa condition, à tenir sa place, c’est à dire à remplir les obligations de sa fonction. Ce qui nous amènera à parfois devoir le remettre à sa place…en lui rappelant l’ordre des convenances et des règles familiales et sociales….
Face à un tissu social de plus en plus troué, les enfants, les jeunes ont besoin de « repères ». Ceux-ci permettent de mobiliser notre force psychique. Celle-ci est nourrie par le sentiment d’appartenance à un groupe, à une famille même si celle-ci est décomposée, recomposée. Quand on ne s’inscrit plus dans un circuit d’appartenance, le sentiment d’être soi devient flou car le monde n’est plus structuré.
Mots clés: Solidarité Famille Transmission Enfance Hyperkinétique Place Attachement