Les enjeux du patronyme
Au nom du père, de la mère, du père et de la mère, dans l’ordre ou dans le désordre… En Belgique une nouvelle proposition de loi veut laisser aux seuls parents le soin de décider du patronyme de leurs enfants.
Or, jusqu’à ce jour, dans notre pays, en ce qui concerne le patronyme, l’enfant d’un couple marié porte automatiquement le nom du mari de sa mère.
Une législation qui tend à voler en éclats puisque selon le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe il apparaît qu’une telle législation maintien des discriminations entre la femme et l’homme et est incompatible avec le principe d’égalité défendu par le Conseil de l’Europe…
Sans doute y a-t-il là une confusion grave entre la notion d’égalité et celle d’indifférenciation ! La question de la parité, souvent mal définie, a entraîné une confusion entre « mêmeté » ou « indifférentiation » et « égalité dans la différence » En effet, l’égalité n’apparaît pas être en contradiction avec l’incontournable différence qui existe à la fois entre les sexes et entre les individus d’un même sexe !
Et si, au nom d’une égalité mal comprise, on risquait de couper les enfants de la fonction structurante de la différence ? En effet, la maternité, ce lien entre la mère et l’enfant est constitué par un ordre totalement différent que celui qui soutient le lien d’un père et de son enfant. Dans le cas de ce dernier, le lien n’est ni naturel ni automatique !
Démission du législateur ?
Signalons au passage que ce nouveau projet signifie à l’Etat qu’il n’a plus son mot à dire dans les affaires de nomination, de transmission et donc, de réglage social. Or le patronyme intéresse l’ordre public, n’est ce dès lors pas au législateur et à lui seul qu’il incombe d’en fixer les règles ? Une règle fixe, applicable à tous les citoyens, et non susceptible de variation en fonction des choix ou des caprices des parents de l’enfant ! A force de cultiver le culte de l’individualisme et son corollaire « le fantasme de maîtrise absolue de ma vie…et de ma mort », l’humain ne se tend-il pas un piège dangereux ?
D’autre part, il paraît important de s’interroger sur l’adéquation de ce choix laissé à l’arbitraire parental et de réfléchir aux conséquences d’une pareille initiative
Pourquoi nommer ?
Le nom est un procédé d’identification des personnes et de détermination de leur ascendance. L’enfant n’existe que dans la représentation culturelle qui le désigne par un nom. Cette désignation organisant une partie de son développement psychique, balise son devenir social. ! En effet, notre nom – venant d’un autre - est un des constituants de la représentation que nous avons de nous-même.
Alors que le prénom est donné dans une relation intime, affective, qu’il est rempli des attentes, projets et souhaits parentaux à l’égard de leur enfant, le nom de famille, quant à lui, inscrit l’enfant dans un circuit culturel et social. Il véhicule les mythes familiaux, l’histoire de nos ascendants ; nous reliant à notre passé il nous inscrit dans l’histoire de l’humanité.
En fait, le nom nous réfère à notre origine. Pour donner un sens à notre vie, il nous faut accepter notre origine. Un enfant qui ne se repère pas dans l’histoire de sa famille ou de ses lignées, vivra une lacune qui rend difficile pour lui la structuration de son identité dans le temps. Quand on ne sait pas d’où l’on vient, on ne peut savoir où l’on va Notre nom s’appuyant sur notre passé, il nous permet de nous projeter dans le futur. « L’absence de passé, c’est une lignée muette » nous dit Boris Cyrulnik.
A chaque parent sa place réelle et symbolique !
Un être humain ne peut reprendre en son nom propre unique, le fait d’être vivant et doté de sa matérialité physique et psychique ! Sa venue au monde est toujours référée à la circulation d’un désir tiers fondateur, celui des « auteurs de nos jours. »
La filiation à la mère est indiscutable et incontournable. En portant l’enfant, dans son corps, sur son cœur, elle lui permet d’exister et de construire sa première identité. La première médiatrice de la vie de l’enfant sera donc la mère, mettant en place une première symbolique, un constituant symbolique où l’on se sent adopté par l’autre et où l’on adopte l’autre puisque l’on accepte de grandir en son sein.
Quant à celui qui est reconnu en place de père, c’est la culture qui désigne quel individu occupera cette place. Par exemple, dans de nombreuses tribus africaines c’est un oncle maternel qui assume ce modèle identificatoire. Dans notre culture occidentale, est reconnu à cette place de père celui qui donne son nom à l’enfant.
Dans toutes les cultures se retrouve cette notion de « père » même si l’individu auquel elle renvoie n’est pas le même d’une culture à une autre. Le sentiment d’être père se développe donc à partir de l’attribution culturelle du rôle paternel, ce qui n’a rien à voir avec la petite graine.
Qu’il soit l’oncle, le mari ou le compagnon de la mère, une chose certaine, le rôle de celui qui est nommé en place de tiers terme entre la mère et son enfant est essentiel. Il introduit une deuxième symbolique, celle qui institue la loi humaine et qui ouvre à la question de la différence, à la loi de l’altérité. Permettant de sortir de la dualité mère-enfant, il élargit les possibilités de dialectique.
Quid du droit de l’enfant ?
L’enfant qui vient de naître tombe dans un monde imbibé de culture avec lequel il va essayer d’échanger et de réaliser ses promesses biologiques, psychologiques et sociales. Tout enfant a des droits de plus en plus nombreux et précis, en fonction de son bien, de son intérêt et de son bien-être.. Avons-nous le droit de lui ôter cette référence essentielle au père, à savoir le nom du père ?
Dans cette nouvelle proposition de loi, a-t-on assez tenu compte du droit qu’a l’enfant naissant, futur être de langage, de voir s’organiser autour de lui un dispositif symbolique permettant de prendre distance et donc de se différentier du mouvement matriciel maternel ? En effet, quelque soit la culture, les enfants, dans le cadre de leur développement, ont besoin de trouver autour d’eux un amour stable et différentiée. Indiscutablement, ils ont besoin d’amour maternel dont la nature est d’aimer l’enfant tel qu’il est, sans attendre de lui autre chose que d’être. C’est un amour sans condition.
Tout aussi incontournable à l’équilibre psychique mais totalement différent sera l’amour paternel qui ne peut se dispenser que sous condition que l’enfant consente à sortir du champ maternel pour aller prendre sa place d’homme ou de femme dans le social en se soumettant à la Loi.
Ainsi les enfants qui, d’une génération à l’autre, seraient uniquement reliés au patronyme maternel, se retrouveraient confrontés au seul référant symbolique renvoyant au don d’amour sans condition. Ne s’en retrouveront-ils pas bien démunis de ne plus être référés à la fonction paternelle qui humanise en introduisant le droit à la différence d’avec la mère ? De plus, le risque de réduire la part de l’homme au rôle de bourdon, est-il un avenir enviable pour les fils à naître?
Et la référence au père ?
« La femme donne la vie, l’homme donne son nom. » Ce principe trouve sa source dans la tradition et se révèle un pacte assez équilibré permettant à chacun d’assumer une part de responsabilité.
Le don du patronyme, toujours chargé d’une symbolique historique, est un signe d’engagement. La fonction de l’homme reconnu à sa place de père est essentielle puisque, par le don de son nom, il nomme l’enfant et le situe dans sa lignée. L’identification au nom du père, l’entrée dans la génération permet à l’enfant de se différentier de la mère et de son désir. Ce qui lui permet d’entrer dans l’ordre de la différence subjective et d’occuper ainsi une place unique dans la société.
Les diverses révolutions culturelles de ces dernières décennies ont fragilisé le statut de père. On constate que, parfois, les pères ont du mal à faire contrepoids à l’importance accordée à la mère ce qui entraîne une rupture d’équilibre social en cas de divorce, notamment Comment réagiront ces pères qui pour une raison ou une autre se seront laissés déposséder de leur liberté de nommer l’enfant ? Celui-ci ne portant même pas leur nom, ne seront-ils pas encore moins enclins à reconnaître leur rôle dans la socialisation de l’enfant ?
En minimisant l’importance de la référence à un père, cet « ailleurs de la mère », ne ferions-nous pas preuve de légèreté, d’incompétence et d’inculture?
Une nouvelle guerre des sexes ?
Laisser à l’appréciation des parents le choix du patronyme de leur enfant, risque de provoquer encore plus de situations paradoxales inextricables! De même, la redoutable tâche d’élire celui des deux noms que devra porter l’enfant ou de choisir lequel, si les parents souhaitent un double nom, sera nommé en première place. Dans la nouvelle proposition, c’est incontournable, le nom de l’enfant loin d’être le fruit de la culture aura été l’enjeu d’un arbitrage dont la neutralité est impossible. Comme le dit Bernard-Henri Lévy : « En choisissant, on élimine ; en éliminant, on exclut et, qu’on le veuille ou non, on dévalue ; en sorte que c’est une nouvelle inégalité, plus violente que l’autre, car voulue celle-là, concertée, que, sous le couvert d’égalité, on réintroduit dans les familles. »
Courir le risque d’évincer le rituel de la transmission du patronyme paternel, n’est-ce pas en rajouter à la détresse d’aujourd’hui ? Les humains ne souffriront-ils pas encore plus de solitude, de manque fondements historiques les obligeant à se réfugier dans la ponctualité de l’instant qui passe… Est-ce vraiment cette histoire-là, celle d’enfants pris dans la toute puissance d’une société maternante, leurrant leur imaginaire, les coupant de la fonction structurante de la différence, que nous voulons pour les générations à venir ?
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