Mais où donc est passé Saint Nicolas
Il y a à peine deux ou trois ans, saint Nicolas se rencontrait à tous les coins de rue ; il se comptait dans le pays un nombre incalculable de trônes. D’ailleurs les enfants commençaient à avoir du mal à comprendre comment en si peu de temps, d’un magasin à l’autre, il changeait de taille, de forme de barbe ou de chasuble !
Les sorcières d’Halloween l’ont-elles chassé ? Est-il banni, relégué au statut de vieillerie puisque les vitrines des magasins démontrent que les potirons ont gagné la guerre du marketing ! Ce vieux bonhomme rouge et blanc a-t-il encore le pouvoir d’émerveiller les enfants ? Quel avenir est réservé au culte de cet évêque qui sauva trois enfants de la menace mortelle d’un méchant boucher ?
L’autre jour, une petite fille de 5 ans demanda à sa mère : « Saint Nicolas quand il est mort, il va où ? » Est-il mort ?
De la richesse des traditions.
Le respect des traditions est une question cruciale de notre époque. Nous assistons à un embarras face aux repères établis. Notre monde actuel prône et met au hit parade tout ce qui est nouveau et l’on a tendance à oublier qu’un arbre qui veut s’élancer haut dans le ciel, a intérêt à être bien enraciné s’il veut résister aux tempêtes ! Chacun de nous formons la forêt humaine et sans nos racines nous devenons très vulnérables face aux bourrasques d’un monde de plus en plus en effervescence.
La transmission des traditions – et la saint Nicolas en est une – forge notre sentiment d’appartenance en nous enracinant dans une histoire humaine. Les fêtes, qui d’année en année scandent la marche du temps sont, dans le courant d’une vie, d’utiles points.
Les enfants peuvent-ils encore croire en saint Nicolas ?
De nos jours, nous avons tendance à reléguer les mythes à l’antichambre de la civilisation ! Seule la vérité du réel qui se voit, se palpe et s’explicite par la raison à pignon sur rue. N’entend-t-on pas certains enfants dire que les contes de fées c’est « pour les enfants » !
Or, de tous temps, les mythes parlent d’un autre langage, dans le clair-obscur de leurs récits ils éclairent et ordonnent le monde autrement. Ils guident dans le labyrinthe de la vie.
Seuls des êtres désabusés, pour qui la vie se résume à ce qui est mesurable ici et maintenant ainsi coupés de leurs racines spirituelles, refusent-ils de croire au merveilleux. Les enfants, les poètes et tous ceux qui n’ont pas peur du rêve croient au miracle de l’irrationnel. Jacques, âgé de 7 ans, me dit l’autre jour : « Tu vois, moi ma Maman m’a expliqué que saint Nicolas c’était les parents. Je ne le raconte pas à ma petite sœur parce que c’est si gai de croire qu’il existe. Moi, parfois j’y crois encore »
En effet, le jeune enfant n’a aucune difficulté à croire que la lettre qu’il écrit arrivera au ciel. La pensée magique est florissante à cet âge, elle permet d’imaginer que toute pensée est réalisable. Aucun problème donc pour le saint de se faufiler par le boyau de la cheminée même si son sac contient un cheval à bascule ! Pas plus que l’âne n’éprouve de difficulté à se propulser dans le ciel sans avoir d’ailes, tout en, comme tout âne qui se respecte, ayant un penchant pour les carottes.
Saint Nicolas fascine car il transmet la tradition d’offrandes et d’attentes réciproques, histoire d’amour entre un vieillard et les petits enfants. Quel parent n’a, le cœur battant, rempli les petites chaussures ; ne peut-il pas ainsi au travers de ce mythe manifester, envers ses chers enfants, sa profonde affection et son désir de protection ?
Faire croire en saint Nicolas, n’est ce pas une perversion ?
« Moi, j’ai tout de suite dit à mes enfants que saint Nicolas cela n’existait pas ! Que c’était moi qui achetais les bonbons et les cadeaux mis dans les chaussures. Je trouve cela malhonnête de tabler sur la crédulité d’un enfant pour lui faire croire n’importe quoi ! »
Vu sous cet angle, la fable de saint Nicolas paraît effectivement de l’ordre de l’escroquerie et nous ne pourrions que donner raison à cette mère.
Mais c’est oublier que le mythe du grand saint représente bien plus que quelques bonbons ou qu’une play station ! C’est oublier que tous nous avons besoin de mythes qui parlent du plus profond de l’humain et de l’immense travail que chacun doit faire pour s’humaniser ; pour prendre corps, âme et parole. N’allez pas croire que le quotidien d’un enfant entre 2 et 6 ans est rose tous les jours ! Pour s’autonomiser et découvrir sa personnalité, il devra s’opposer aux adultes, il devra apprendre à aimer qui il est et à accepter ce qu’il n’est pas, admettre qu’il ne sera jamais le conjoint d’un de ses parent, etc…Avec en filigrane la continuelle angoisse que tout ce difficile cheminement n’entraîne, de la part de ces parents, un rejet à son égard.
Heureusement, dans nos contrées, pour soutenir le petit qui grandit, le bon saint veille au grain, et le temps où père fouettard ne déposait que des verges est révolu. Loin d’être simplement un distributeur de cadeaux, saint Nicolas est un sage qui, une fois par an, descend du ciel pour reconnaître les efforts fait par l’enfant. Par ses annotations dans son grand livre il signale à l’enfant l’intérêt qu’il porte à chacun de ses gestes. Il vient récompenser les enfants « sages », il vient donc gratifier tous les enfants dans l’effort qu’ils ont à fournir pour s’adapter aux exigences, parfois bien dures, de la réalité terrestre.
Bien sûr, si la fête de saint Nicolas, au lieu d’être le temps fort d’une rencontre et d’une transmission de récits familiaux, se borne à être une convention qui dépose en vitesse et « sans trop d’histoire » des cadeaux dans des chaussures, cette fête perd sa valeur profonde. Ce n’est pas l’argent qu’on dépense pour cette fête qui en constitue l’aura, mais la place dégagée pour le merveilleux.
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