« Offrez-lui des chaînes »
Cette annonce publicitaire m’a laissée songeuse. Encore des chaînes ? Ne sommes-nous pas déjà suffisamment enchaînés à la tyrannie de la technologie - à l’impérialisme du sécuritaire - à l’emprise du matérialisme - à l’esclavage du gain ? Enchaînés au dualisme du tout ou rien.
Quel cadeau veux-tu pour ton anniversaire ?
Mathilde a 7 ans. Elle aime l’école et surtout les récréations car là elle se défoule avec ses nombreux ami(e)s. Avec eux, elle partage le jeu favori de sa classe, des combats de billes. Toutes leurs premières notions de calcul s’illustrent à merveille grâce à ce jeu. Il y a intérêt à savoir compter si on ne veut pas y perdre toutes ses billes !
L’anniversaire de Mathilde approche. Sa grand-mère veut la combler et lui demande quel est son plus grand souhait.
« Un sac de billes. » répond la petite.
« Comment un sac de billes ? Ce n’est pas un cadeau cela. Demande-moi quelque chose de raisonnable, de plus cher ( !)… Un vrai cadeau. » rétorque l’aïeule.
« Mais c’est un grand sachet de billes dont j’ai le plus envie ! Des belles grosses billes de toutes les couleurs » insiste Mathilde. La grand-mère mit les bouchées doubles pour inciter l’enfant à demander un cadeau plus onéreux. Mais rien n’y fit.
Déçue par le manque d’ambition matérielle de sa descendance, la mère-grand s’en va explorer, seule, un magasin où l’on vend « de beaux jouets ». Aux yeux de cette dame un beau jouet est un jouet coûteux. Un beau jouet est un jouet qui ne peut être offert qu’à de grandes occasions. Furetant à travers les rayons, elle tombe en arrêt devant une Barbie dernier cri, dernière mode. Elle s’empresse de l’acheter avec tous les derniers accessoires y attenant.
Elle sort du magasin radieuse, ravie d’imaginer la joie de l’enfant devant un cadeau « d’une certaine valeur », un cadeau digne d’être offert par la bonne grand-mère qu’elle souhaite être aux yeux de la petite..
Arrive le jour de l’anniversaire.
La mère de Mathilde a suivi le manège. Réalisant que la grand-mère ne souhaitait pas combler le vœu de la fillette, elle s’en chargea et acheta un sac de grosses billes multicolores en vue de l’anniversaire de sa puînée.
Au jour J, les cadeaux furent disposés autour de l’assiette de la gamine. Consciencieusement, elle déballa le beau paquet bleu et rouge offert par Bonne-Maman. Découvrant la Barbie, elle la regarda dans tous les sens, l’inspecta avec attention puis la mit sur le côté. Vint ensuite le déballage du sac de billes. En découvrant les reflets des billes, ses yeux se mirent à briller de concert. Elle se jeta dans les bras de sa mère, l’embrassa avec effusion puis s’empressa de mettre ses billes à l’épreuve dans un coin de la pièce.
La pauvre grand-mère, vous l’imaginez déjà, se retrouva fort dépitée. Car hélas, son cadeau ne correspondait pas, aux yeux de Mathilde, à un objet pouvant éveiller un quelconque intérêt. Aussi, visiblement, elle dut fournir un effort certain pour en remercier la donatrice…
Tu me déçois !
L’heure du coucher s’annonçant, la petite embrassa sa grand-mère. Celle-ci ne se montra guère enthousiaste envers sa petite fille. Elle lui tint le discours suivant : « Je suis bien déçue. Je t’achète un beau cadeau très cher et voilà que tu le regardes à peine. Tu préfères t’amuser avec de vulgaires billes. Si c’est comme cela, l’année prochaine je ne te donnerai plus de cadeau ! »
Sans commentaires…
Cette petite histoire m’a rappelé une phrase de Michel Onfray. « Tant que l’identité est encore dans le cerveau nous sommes sauvés… ». En effet tant que la pensée personnelle gérant notre désir construit notre manière d’être au monde nous garantissons la spécificité de notre humanité.
Notre identité est notre manière « d’être au monde » avec tout ce qui nous constitue. N’est-il pas important de construire cette identité à partir de désirs gérés par une pensée personnelle ? Par mille et un stratagèmes, notre monde contemporain tente de gérer notre désir en l’appâtant de biens matériels. Ou encore, en le piégeant avec une publicité mensongère qui tente de circonscrire la totalité des comportements. Ainsi faisant, l’économie de marché tente de nous faire oublier de penser par nous-mêmes pour nous-mêmes! Nous faisant perdre ainsi l’essence même de notre humanité !
Le désir de Mathilde, non encore pollué par le miroir aux alouettes de notre société contemporaine, a gardé l’intégrité de sa vérité. Elle reste fidèle à son désir, même s’il ne souhaitait que quelque chose de très simple, quelque chose qu’elle aurait même pu s’offrir en économisant son argent de poche. Non, ce qu’elle voulait c’est un cadeau qui fasse plaisir à son « être » et non pas un cadeau qui la plonge dans un « paraître », qui n’apporte souvent comme seul bonheur que celui d’être enviée…
La grand-mère quant à elle, semble tombée dans le piège de la société de consommation, dont la somme des biens acquis et surtout leur prix sont l’étalon de la valeur d’une personne…et de ce qu’elle offre.
Protégeons-nous, protégeons nos enfants des chaînes économiques, sociologiques, psychologiques, qui de toutes parts n’attendent que notre docilité pour nous mettre en esclavage.