Pokémons, monstres de poche ?
Pour certains adultes, les pokémons, ces nouveaux envahisseurs de la planète se profilent comme étant de dangereux inducteurs de rackets « Ces monstres incitent à la violence, il faut les interdire », pour d’autres ils ne représentent que d’inintéressantes figurines « Toutes ces bêtises coûtent cher et n’apportent rien aux enfants », pour d’autres, plus pragmatiques, « C’est une mode, comme les flippos et autres bizarreries, ça passera comme le reste ! »
Par contre pour les enfants, principalement entre 5 à 9 ans, les pokémons sont devenus une part de leur vie. D’où viendrait cet engouement ?
Ni hommes, ni bêtes
Contrairement à beaucoup d’autres personnages imaginés par les adultes pour les enfants, les pokémons ont un aspect physique se référant peu au corps humain. Ce ne sont ni des humains, ni des extra-terrestre. D’ailleurs demandez à un enfant « C’est quoi un pokémon ? » Il sera bien en mal de vous répondre car « Un pokémon c’est un pokémon ! »,
Nous avons donc affaire ici à un règne nouveau, ni animal, ni humain. L’humain nous pouvons le définir comme étant un mammifère marchant sur les pattes arrières, doué d’intelligence et de conscience. Mais un pokémon ? Rien à voir avec un petit bonhomme vert de la planète mars, ou avec la famille Simpson, les tortues Ninja, Dragonball, etc. Tout ceux-là, semblables aux hommes, restent des bipèdes même si leur force et leur résistance à mourir est différente de celle d’un banal humain.
Et si le côté attirant de ces « monstres de poche » (pokémon est un mot dérivé de pocket monsters) était lié au fait d’être des créatures qui permettent à l’enfant de réellement penser un monde nouveau ?
Un nouveau conte de fée pour grandir ?
Le fantastique des pokémons semblable à celui des contes de fée d’hier, fait partie de l’imaginaire des enfants ; ceux-ci leur accordent des pouvoirs fabuleux semblables à ceux de la fée Carabosse qui réussit à l’avance à programmer 100 ans de sommeil à la Belle au Bois Dormant. Et le carrosse redevenant citrouille à minuit n’était-il pas aux mains d’une puissante fée aux pouvoirs illimités ?
Ces 150 créatures vivant dans les bois et les cavernes, dotées de formes physiques hors du commun doivent être apprivoisées et entraînées par le joueur. Ne trouvons nous pas là un parallèle avec la destinée humaine ? Les enfants aussi doivent être « éduqués » par l’adulte, pour devenir des adultes forts et responsables !
Si les pokémons sont des créatures passionnantes, ne serait-ce pas parce que, comme tout être humain, elles sont capables d’évoluer ? A l’enfant donc de veiller à l’éducation de ses pokémons afin que ceux-ci développent leurs pouvoirs. A peu de chose près, on y retrouve l’image de parents entraînant, avec acharnement, leur enfant aux tâches scolaires afin de se gausser « d’avoir un enfant scolairement plus fort que les autres » …
Ni anges, ni démons
Ne nous voilons pas la face, puisqu’il s’agit de devenir le plus fort, il s’agit bien d’un jeu de pouvoir.
Focalisons notre réflexion sur les cartes pokémons car finalement c’est à leur sujet que les enfants se passionnent. L’essentiel, est : d’« avoir le plus possible de bonnes cartes ». Après tout, la question de l’Avoir n’a rien de péjoratif ! Elle est liée à la nature humaine et si elle entraîne aujourd’hui dans le milieu de l’enfance du trafic d’influence, de l’arnaque et du racket ceci n’est pas dû aux mauvais penchants de la nature humaine mais bien plus à un siècle qui a surtout développé une imagination technologique et économique valorisant la primauté du pouvoir de l’argent !
L’aspect décevant des pokémons est la finalité du jeu, qui perpétue cette philosophie annihilante du Avoir pour dominer, pour écraser l’autre, pour le réduire à rien. Or que constatons-nous ? Les enfants collectionnent ces précieuses cartes non pas pour suivre les règles du jeu mais au contraire ils inventent leur propres règles,. Jusqu’à quel point les enfants refusent-ils les règles de ce jeu car eux en ont marre de l’éternelle ritournelle de « Mewtwo contre Mew » qui se résume à symboliquement « Moi contre MOI » ? Finalement ne sommes-nous pas tous humains, frères de la même race ? Il apparaît que les enfants semblent être plus conscients et plus désireux que bien des adultes, de concevoir la finalité de la race humaine comme autre chose que de la destruction réciproque !
Alors fatigués de la lutte au premier degré du bon-moi-fort contre le toi-nul-faible, ils préfèrent encore instaurer des règles liées au hasard ! « Pour jouer aux pokémons, il faut mettre la carte dans la paume de ta main, on choisit pile ou face, puis tu tape ta main contre la mienne, la carte tombe par terre et alors on voit pour qui elle est. Il y en a qui veulent pas jouer parce qu’ils veulent pas risquer de perdre leur carte » Quel suspense de voir quel sera celui à qui la chance sourit. Si ce jeu ne fait plus des géniaux contre des nuls, il produit, hélas, des heureux contre des malheureux qui selon leur caractère n’accepteront pas facilement leur sort…
Règles de jeu, règles de vie ?
La vie est un grand jeu, les jeux de notre enfance sont des entraînements à ce qui sera plus tard notre attitude fondamentale face aux évènements et aux tournants de celle-ci. Les jeux nous apprennent à nous battre, à gagner, à surmonter une épreuve, à accepter de perdre, à vaincre sa peur de l’échec.
Faut-il décrier tous les jeux mettant « en jeu » : le pouvoir ? N’oublions pas que Pouvoir contient le verbe pouvoir. Ne jetons donc pas le bébé avec l’eau du bain. Pouvoir n’est pas d’emblée synonyme de domination. Le pouvoir, compris dans le sens de « nous donner des possibilités pour réaliser nos désirs et nos projets », est loin d’être une mauvaise chose. Bien au contraire, c’est une nécessité incontournable pour permettre à notre existence d’atteindre les buts qu’elle s’est fixée !
Par contre, comme le disait Saint Exupéry : « Le pouvoir s’il est l’amour de la domination, je le juge stupide » En effet dominer, exercer son pouvoir comme une puissance pour maintenir l’autre sous notre coupe n’est pas un idéal de vie très relevant.
Qu’inventer entre pur hasard et pouvoir dominateur ?
Si au lieu d’interdire les pokémons, de les voir comme une nouvelle cause de perversion de l’enfance, les adultes s’intéressaient à leurs multiples pouvoirs et à leur évolution ? S’ils aidaient les enfants à mettre en place, grâce aux pokémons, des règles de jeu où tous ensemble, et pas l’un contre l’autre, les forts comme les plus faibles, s’inventerait un monde fabuleux dans lequel chacun a une place et peut réaliser ses rêves les plus fous ?
Plutôt qu’être les messagers d’une morale dégoulinante de bons sentiments tarte à la crème telle qu’elle est donnée en fin du film sur les pokémons « Mewtwo contre Mew », un jeu vivant comme la vie paraît plus porteur des fruits comestibles !
Le goût du pouvoir n’est en rien inconciliable avec la convivialité, qu’on se le dise. Il est logique que certains pokémons aient plus de pouvoir que d’autres mais dans la foulée il faudra rendre tangible que la prise de pouvoir implique la notion de responsabilité. Rien n’empêche dans la conception de règles de jeu, d’entraîner les pokèmons à se soumettre aux contraintes tel que le respect de l’autre et à la nécessité d’assumer les conséquences des décisions ou des risques pris ceci afin d’apprendre à prévoir. Bien utilisés, ces petits personnages finalement bien sympathiques pourraient être une mine d’or d’éducation à la citoyenneté.
Le monde change à une vitesse incroyable, les pokèmons c’est nous, les enfants n’ont-ils pas raison de se passionner pour des êtres mutants dans lesquels ils se retrouvent ? Et si nous développions avec l’aide de nos enfants une imagination plus empathique ? Non pas en soutenant la convoitise du slogan de la pokémocratie : « Gotta catch’em all » (je veux les attraper tous) mais par un « want’em all concerned » qui soutiendrais une quête du pouvoir, chacun avec ses moyens, pour atteindre un but commun, un monde plus humain.