Le meurtre du Hasard
« Let it be » chantaient les Beatles
Ce n’est qu’un billet d’humeur, d’humeur à échapper au meurtre du hasard. N’est-il pas temps de dénoncer une barbarie engendrée par l'engouement pour l’organisation rationnelle d’une certaine « normalité idéale » ?
On fait miroiter à l’homme nouveau qu’entre lui et la création il n’y aura bientôt plus d’inconnu. Et les enfants du futur ? La science embryonnaire fait entrevoir l’espoir de fabriquer des enfants à la mesure des ambitions et souhaits parentaux. Doté bien sûr de toutes les qualités voulues et d’une intelligence supérieure. Rappelons que dans les dons de gamètes, l’ovule d’une universitaire vaut 10 fois le prix d’un ovule d’une ménagère…. Au risque de décevoir les vendeurs du monde « idéal », j’ose espérer que quoiqu’on aurait essayé de planifier, dans la réalité, l’enfant sera différent de ce qui aurait été programmé. L’enfant va doit surprendre ! La vie est d’une telle complexité qu’on est en droit de penser que choisir une descendance sur mesure est utopique. Même constitué des ingrédients génétiques idéaux, j’ose croire que l’inconscient et le conscient du petit de l’homme resteront suffisamment libres pour surprendre en créant une façon d’être au monde unique et imprévisible.
A la cause du hasard, il est bon de rappeler que nombre de découvertes lui sont dues. C’est le mauvais fonctionnement d’un métier à tisser qui a produit le premier tissu éponge. Découverte inattendue, grâce à un coup du sort, ensuite intelligemment commercialisée.
Cette chasse à la sorcière nommée hasard, ne renvoie-t-elle pas à cette crainte de l’impondérable, à la peur de l’inconnu ? On s’accroche à ce que l’on connaît sans se rendre compte qu’en se fermant à l’inattendu nous réduisons nos possibilités. Les rides doivent se faire effacer à coup de botox ou de gel, les seins remontés, les fesses regonflées, les cuisses amincies. Tout cela ne serait-il pas finalement une recherche de déni de notre finitude ? Les assurances obsèques, marché en pleine expansion, nous illusionne de devoir, même mort, encore contrôler notre vie. Cette publicité, vantant le choix de nos funérailles afin que « nos volontés soient scrupuleusement respectées », m’arrache à chaque fois un sourire amusé. Même raidi dans une caisse ou en poussière dans une urne, il serait souhaitable de s’assurer de ne rien laisser au hasard du désir des survivants. Il est de meilleur ton d’énoncer « je gère » que d’accepter « on verra bien ». Tout risque de faiblesse, d’erreur, de quelque chose qui ferait tache, devrait être évincé.
Tout en nous félicitant des progrès scientifiques et technologiques qu’offre le monde d’aujourd’hui, acceptons qu’imperfection, déception, joies, aubaines, providence ou malchance sont des incontournables constitutifs de toute vie humaine. Et, n’en déplaise à certains, l’inconscient gouvernera toujours une bonne partie de nos actions malgré toutes nos tentatives de tout gérer, tout contrôler, tout prévoir, tout planifier.
Pour le meilleur et pour le pire, acceptons de reconnaître au hasard sa place dans nos existences.
Mots clés: Société Procréation Peur